Avec l’automne vient le moment de sélectionner nos lectures préférées de l'année, fiction, poésie, essais, romans graphiques, voici 20 livres publiés lus et appréciés en 2020, une liste non exhaustive et sans ordre de préférence!

FICTION, POÉSIE & NON-FICTION

Le jour où le désert est entré dans la ville, Guka Han, Verdier

Ces nouvelles de Guka Han, autrice coréenne installée à Paris écrivant en français, explorent les thèmes de la marginalité, de l’errance et de l’exil. Dans un univers flottant, éthéré, à l’ambiance fantomatique et à l’urbanité froide, des personnages mutiques se heurtent à leur incapacité à se fondre dans un monde déshumanisé. Un recueil envoûtant qui n’est pas sans rappeler le rapport à la langue et l’étrangeté familière qui peuplent l’oeuvre de Yoko Tawada.

La petite dernière, Fatima Daas, Noir sur blanc

Premier roman remarqué et audacieux que celui de Fatima Daas, dernière née d’une famille musulmane pratiquante arrivée d’Algérie en banlieue parisienne, porté par un rythme saccadé à la musicalité forte, entre le slam, la prière et le poème en prose. Daas mêle arabe, français et anglais pour dire les fragments d’une identité multiple, queer, musulmane, banlieusarde, française, dans une autofiction percutante sur la quête d’identité.

Mangeterre, Dolores Reyes, L’Observatoire

Mangeterre possède un pouvoir particulier, celui de communiquer avec les morts en avalant la terre qu’ils ont foulée, lors d’éprouvantes transes lui révélant le sort des femmes disparues d’Argentine. Mi-sorcière mi-voyante, d’abord prise pour folle, elle devient vite l’attraction du quartier où se pressent des dizaines d’individus despérés à la recherche de leurs proches. Véritable succès lors de sa sortie en Argentine, le livre de Dolores Reyes, militante féministe, enseignante et mère de sept enfants, est un premier roman prometteur. 

Dead Girls, Selva Almada, Charco Press

Sur un thème similaire mais dans une démarche à la fois différente et complémentaire, Selva Almada s’intéresse aux meurtres impunis de trois jeunes filles dans l’Argentine rurale des années 1980, dans une sorte de De sang-froid féministe. À partir des témoignages, d’extraits d’enquêtes, de consultations avec une voyante, Selva Almada offre un livre poignant sur les failles de la justice tout en rendant hommage aux victimes de féminicides, connues et inconnues. 

The Hole, Hiroko Oyamada, New Directions 

Asa et son mari fraîchement muté ont quitté la ville pour la campagne, mais devenue femme au foyer, elle perd peu à peu prise avec la réalité. Les jours se suivent et se ressemblent, dans l’été caniculaire japonais où la chaleur et le chant des cigales se font de plus en plus oppressants. Jusqu’au jour où Asa tombe dans un trou en allant faire des courses, et où les frontières entre le réel et l’illusion se brouillent définitivement. Après The Factory, Hiroko Oyamada poursuit l’élaboration de son univers aux accents kafkaïen et sa critique subtile de la société japonaise. 

Mais leurs yeux dardaient sur Dieu, Zora Neale Hurston, Zulma

La traduction magistrale par Sika Fakambi du roman de Zora Neale Hurston, est une raison supplémentaire de (re)lire ce classique incontournable du mouvement Harlem Renaissance. On y suit une femme rebelle dans sa quête de liberté, au gré de ses passions et ses mariages successifs, dans la société patriarcale et ségrégationiste du sud des États-Unis dans les années 1930. Alternant entre la langue rurale, orale, des personnages, et celle hautement poétique de la narration, un roman puissant, inventif et d’une grande qualité littéraire. 

On se perd toujours par accident, Leanne Betasamosake Simpson

Mémoire d’Encrier continue de diffuser auprès du lectorat francophone l’oeuvre de l’immense Leanne Betasamosake Simpson, une des voix les plus puissantes de la littérature autochtone actuelle. Dans On se perd toujours par accident, traduit par Natasha Kanapé Fontaine et Arianne DesRochers, nouvelles et poèmes expriment toute la révolte et la colère de l’autrice face au colonialisme, ainsi que toute la tendresse portée à la culture nishnaabeg, créant un espace privilégié de résistance et de reconnaissance pour sa communauté. 

Pendant que Perceval tombait, Tania Langlais, Les Herbes Rouges

Les voix entremêlées de Virginia Woolf, de Perceval - personnage du roman Les Vagues - et de la poète s’entremêlent ici dans une journée infinie, la dernière de Virginia, formant une suite de tableaux délicats autour de la mort et la disparition. Une fois le livre refermé, les vers de Tania Langlais refluent en nous comme la marée et hantent longtemps. Un grand recueil. 

Sestrales, Andréane Frénette-Vallières, Le Noroît

Le deuxième recueil de poésie de l’autrice de Juillet le nord évoque la sestralité, concept né dans le milieu du scoutisme féminin. On y entend la voix isolée d’une femme vivant en forêt, attentive aux changements de la nature et ceux de son corps, s’adressant tantôt à elle-même, tantôt à une soeur à la fois spectrale et charnelle. Le récit d’une solitude habitée aux accents de Dans la forêt de Jean Hegland.

History of My Brief Body, Billy-Ray Belcourt

Dans le prolongement de ses deux recueils de poésie This Wound is a World et NDN Coping Mechanisms, Billy-Ray Belcourt offre une méditation sur les thèmes de la mémoire, de l’art, du corps queer et autochtone et de l’héritage de la violence coloniale. Belcourt s’essaie cette fois à l’exercice autobiographique, allers-retours entre la réserve et la ville, entre l’intellect et la chair, entre le passé et l’urgence politique du présent. Un texte hybride, entre essai et mémoires - mais avec Belcourt la poésie n’est jamais loin -, ancré dans un réseau d’écrits queers et décoloniaux et écrit dans une langue exigeante et à la grande puissance évocatrice. 

Je suis un monstre qui vous parle, Paul B. Preciado, Grasset

Paul B. Preciado livre ici l’intégralité d’un discours préparé pour la Journée d'étude de l'École de la Cause Freudienne, alors invité à parler devant les psychanalystes de sa transition. Preciado dénonce le rôle dévastateur de la psychanalyse dans la fabrication des normes et des pathologies, dans le maintien du régime de la différence sexuelle et du pouvoir hétéro-patriarcal colonial. Il fustige une psychanalyse dépolitisée, et appelle à un processus de dépatriarcalisation et de décolonisation du corps et de l’appareil psychique dans la discipline. Un pavé dans la mare psychanalytique, à lire absolument pour la vitalité et la délicieuse éloquence des propos de Preciado. 

The Skin We’re In, Desmond Cole, Doubleday 

Desmond Cole fait la chronique d’une année de lutte contre le racisme, documentant douze mois de brutalité policière, de racisme institutionnel et d’injustices subies par les communautés noires au Canada, mais aussi les actions des mouvements de résistance et de lutte intersectionnelle. Cole urge les canadien.ne.s, prompt.e.s à juger leur situation enviable en comparaison des États-Unis, à regarder en face la permanence du racisme systémique. Une lecture indispensable. 

Guérir du mal de l’infini, Pierre-Yves Abraham, Ecosociété

Publié fin 2019 mais plus que jamais d’actualité, Guérir du mal de l’infini ouvre les portes de la décroissance pour sortir d’un système fondé sur la destruction écologique, l’injustice sociale et l’aliénation des travailleurs. Les néophytes y trouveront une synthèse claire des théories constitutives du mouvement, les décroissants aguerris une réflexion stimulante sur la question du temps de travail et les possibilités qu’offrent les communs, pour une collectivité affranchie de l’entreprise et de l’État. 

BD & ROMANS GRAPHIQUES

The Sky is Blue with a Single Cloud, Kuniko Tsurita, Drawn & Quarterly

Kuniko Tsurita est en 1965 l’une des premières femmes à publier dans la légendaire revue de manga alternatif Garo. Science fiction, questions morales, description de la bohème, du militantisme étudiant, et de la vie quotidienne dans le Tokyo underground des années 60, son approche onirique, surréaliste, existentialiste, la rapproche de Shin’ichi Abe ou Seiichi Hayachi. Une rétrospective plus que bienvenue dans le milieu fortement masculin du gekiga!

Becoming Horses, Disa Wallander, Drawn & Quarterly

Avec des médiums multiples, dessin, aquarelle, photographie, céramique, collage, l’artiste multidisciplinaire suédoise Disa Wallander met en scène de petits personnages rappelant ceux de Tove Jansson, évoluant dans un monde surréel tout en textures et en couleurs. Un voyage philosophique sur les émotions, le doute et les incertitudes inhérentes à la nature humaine, d’une grande douceur.

Wendy, Master of Art, Walter Scott, Drawn & Quarterly 

Après Montréal, Berlin, LA, Wendy déménage en Ontario pour suivre une maîtrise en arts à Guelph (Hell). Entre boutique de tricot, champs de vaches, solitude et plongées angoissées dans les affres de la création, notre party girl urbaine doit s’adapter à son nouvel environnement. Avec ce troisième tome des aventures de Wendy, Walter Scott excelle toujours dans l’art de la caricature.

Le mystère de la maison brume, Lisa Mouchet, Magnani

Dans une résidence de banlieue pavillonnaire, une étonnante maison d’architecte aux allures cubistes attire l’attention de trois voisins, lancés dans une expédition nocturne pour en savoir plus sur le propriétaire. Le mystère plane sur cette étrange demeure, amplifié par les contrastes et le grain donné par la craie grasse, des personnages sans corps dont la présence et la distinction sont signifiés seulement par un changement dans le style de dessin ou des dialogues écrits. Un magnifique album qui se lit comme un roman noir.

Gousse & Gigot, Anne Simon, Misma

Gousse et Gigot, soeurs fusionnelles et rejetons illégitimes du grand dictateur Van Krantz, grandissent dans une fosse aux serpents et ne doivent leur survie qu’aux bons soins de Christophe, chat bienveillant et dissident. Après l’assassinat de leur tyran de père, les voilà enfin libres d’arpenter le royaume du Marylène, pays fantasque imaginé par Anne Simon. Amour sororal, mâles encombrants, addiction à l’alcool, aux frites et aux beignets, le quatrième volume des Aventures du Marylène est à découvrir absolument!

La Main Verte, Nicole Claveloux, Cornélius

Un album hypnotique initialement paru en 1977 dans la revue de science-fiction underground Métal Hurlant. La Main Verte met en scène une jeune femme et son compagnon, un corbeau cynique et mélancolique, dans un univers fantasmagorique aux couleurs vives et inquiétantes, complété ici par de courts récits en noir et blanc à l’humour absurde. Récompensé du Prix Artémisia du Matrimoine 2020 et Prix du Patrimoine d’Angoulême 2020. 

L’affaire des hommes disparus et L’ermite maudit, Kris Bertin et Alexander Forbes, Pow Pow

Les deux premiers volumes des Mystères de Hobtown traduits en français aux éditions Pow Pow! Un groupe d’étudiant.e.s mène l’enquête sur de mystérieuses disparitions dans une petite ville côtière, dans une parodie des séries policières à l’ancienne aux accents fantastiques, comme si Nancy Drew rencontrait David Lynch sur une plage de Nouvelle-Écosse. L’ermite maudit, le deuxième tome, est encore meilleur, avec une intrigue et des dialogues plus construits et un dessin plus affirmé. Vivement la suite! 

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